Traduction en français d’un article de Tatul Hakobyan, journaliste, essayiste et personnalité publique, paru le 03.08.2021 sur aniarc.am
Publié immédiatement après les élections législatives anticipées de juin 2021 en Arménie, cet article de Tatul Hakobyan appelle à la responsabilité collective des autorités d’Arménie et d’Artsakh.
Taline PAPAZIAN
Traduction par Anna Baghdasaryan
Samvel Babayan est le plus agressif parmi les responsables artsakhiotes de la catastrophe des 44 jours. Après avoir publiquement refusé le titre de Héros de l’Artsakh et le poste de Secrétaire du Conseil de sécurité, Babayan a donné de nombreuses interviews, accusant les anciennes autorités et certaines personnes de notre défaite. Ceci, en dépit du fait que avant et pendant la guerre, Babayan était la deuxième personnalité la plus importante en Artsakh et responsable du fait de sa position de cette défaite.
Ministre de la Défense de l’Artsakh en 1998, il a réalisé, avec Vazgen Sargsyan, Robert
Kocharyan et Serzh Sargsyan, un coup d’État militaire en Arménie en écartant le premier président Levon Ter-Petrosyan du pouvoir pour défaitisme dans la question de l’Artsakh.
Samvel Babayan a été le partisan d’un Artsakh aux 8000 kilomètres carrés, argumentant et
cartographiant ce scénario comme possible et réaliste auprès de la direction du MNA
(Mouvement national arménien).
Ironie de l’histoire, nous avons perdu 8 000 kilomètres carrés pendant la guerre des 44
jours.
Après la première guerre d’Artsakh (1991-1994), un récit s’est formé selon lequel les
autorités arméniennes de l’époque n’avaient rien à voir avec les victoires.
Robert Kocharyan, deuxième président de l’Arménie et premier président de l’Artsakh, la
FRA (Fédération révolutionnaire arménienne) et d’autres cercles faisaient activement passer le message que les victoires se faisaient contre le gré de Levon Ter-Petrosyan et des
cercles défaitistes du MNA. Dans le livre autobiographique de Kocharyan, de nombreux
épisodes justifient ce mensonge.
Aujourd’hui, après la deuxième guerre d’Artsakh de 44 jours, un nouveau récit est en train
de se former, selon lequel les autorités actuelles de l’Arménie ne sont coupables ni de la
défaite ni du désastre. La commission d’enquête sur les circonstances de la guerre des 44
jours est créée dans ce but précis et fera tout pour rejeter le blâme et la responsabilité sur
les autres.
Ainsi, selon le premier récit, c’est le gouvernement de l’Artsakh et l’opposition arménienne
d’alors qui ont remporté la première guerre. Selon le deuxième récit, les coupables de la
catastrophe des 44 jours ne sont pas les dirigeants de l’Arménie et encore moins ceux de
l’Artsakh au pouvoir aujourd’hui.
En réalité, les guerres sont gagnées par les États et les autorités du jour, et de la même
manière, ce sont les États et les autorités du jour qui perdent les guerres.
Ni les médias, ni les cercles d’experts d’Arménie, de diaspora, mais encore moins ceux
d’Artsakh ne parlent des responsables de la catastrophe de 44 jours en Artsakh.
Araik Harutyunyan, président de l’Artsakh, est tout aussi responsable et coupable de la
catastrophe des 44 jours, des pertes humaines et territoriales, du maximalisme infantil et
irresponsable, que le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan. Toute la direction
militaro-politique de l’Artsakh a une part de culpabilité et de responsabilité dans cette guerre désastreuse. Les quatre présidents de l’Artsakh – Robert Kocharyan, Arkadi Ghukasyan,
Bako Sahakyan et Arayik Harutyunyan – partagent le blâme et la responsabilité.
Arkadi Ghukasyan, qui a été impliqué dans le processus de négociations de 1993 à 1997 et
était à la tête de la partie artsakhiote, était informé directement des documents et des détails discutés. Pendant les jours du coup d’État militaire de 1998 et plus tard, il a publiquement accusé Ter-Petrosyan de politique défaitiste ainsi que le gouvernement de ce dernier d’avoir l’intention de laisser l’Artsakh au sein de l’Azerbaïdjan.
Un an plus tard, en novembre 1998, il a donné son accord au plan “État commun” proposé
par les coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE, dont le tout premier point indiquait
clairement que l’Artsakh formait un État commun avec l’Azerbaïdjan, par les frontières du
Haut-Karabakh, à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues. Selon cette
proposition, les citoyens d’Artsakh auraient eu des passeports azerbaïdjanais portant la
mention “Haut-Karabakh”.
Bako Sahakyan, le troisième président de l’Artsakh, était l’un des partisans de l’idéologie
“pas un centimètre de notre terre”. Il a occupé des postes à responsabilité depuis 1993.
Vartan Oskanyan, le chef de la délégation arménienne dans le processus de négociations
du Karabakh en 1994-1997, a également sa part de culpabilité et de responsabilité dans la
catastrophe des 44 jours, lui qui, maîtrisant brillamment les détails du conflit et étant
entièrement d’accord avec le plan “par étapes” de 1997, a rejoint Robert Kocharyan, puis, en devenant ministre des Affaires étrangères du même Kocharyan, a placé le maximalisme à la base de la politique étrangère de l’Arménie.
Le troisième président Serzh Sargsyan et son ministre des affaires étrangères Edward
Nalbandyan sont également coupables et responsables de ce désastre.
Aujourd’hui, avec le recul, les coupables et les responsables directs de la catastrophe
cherchent partout des coupables et des responsables. Il s’avère que Serzh Sargsyan était
prêt à porter l’étiquette de traître au nom d’un règlement digne de la question de l’Artsakh.
Alors que ses partisans accusaient de trahison, de défaitisme, et de manque d’amour envers la patrie tous ceux qui parlaient du règlement du conflit en Artsakh et de la recherche d’une paix digne.
Même attitude, mais un peu plus irrespectueuse et agressive, chez Kocharyan et son
entourage nationaliste envers ceux qui prevenait de l’inévitabilité de la catastrophe
imminente.
L’histoire ne peut pas être écrite sélectivement.
Nous avons tous notre part de culpabilité et de responsabilité pour avoir conduit toute une
génération au seuil de la mort, pour plus de 4 000 victimes, plus de 10 000 mutilés, pour la
perte de la région de Hadrut et celle de Shushi. Les générations ne nous pardonneront pas,
mais avant tout, elles ne pardonneront pas aux coupables et aux premiers responsables de
la catastrophe.
Traduit et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.